• Le Prince Charmant



    Le Prince Charmant

     Conte de Madame Leprince de Beaumont

    Il y avait une fois un prince nommé Charmant qui aimait les plaisirs. Si bien que pour éviter les remontrances de son vertueux précepteur, il le nomma gouverneur d’une province très éloignée. Dès qu’il fut parti, Charmant se livra à la chasse, son plaisir favori. Un jour, dans la forêt, il vit passer une biche blanche au collier d’or. Il la suivit et arriva à un grand château.

    La maîtresse de maison le reçut, mise simplement, mais d’une beauté éblouissante. Je m’appelle Vraie-Gloire, lui dit-elle, et j’attends dans ce château un mari depuis l’éternité. Nombreux sont les rois venus me voir mais tous m’ont abandonnée pour ma plus cruelle ennemie. Ah ! je jure de n’aimer que vous et je vous choisis pour reine, s’écria Charmant.

    Je vous accepte pour roi, lui répondit-elle, mais un autre prince au château veut m’épouser. Aussi devrez-vous me quitter trois ans et celui qui me sera le plus fidèle aura ma préférence. Ils soupèrent tous deux avec la princesse et Charmant voyant son rival Absolu si beau, avec tant d’esprit, qu’il craignît que Vraie-Gloire ne l’aimât plus que lui. Je vous attendrai, leur dit-elle en les raccompagnant.

    À peine l’eurent-ils quitté qu’ils virent un palais magnifique. Ils furent surpris d’y trouver leur princesse somptueusement parée. Je vous ai reçu hier dans ma maison de campagne, leur dit-elle. Mais je ne la trouve plus digne ni de vous ni de moi, et je vous attendrai ici. La princesse est bien plus aimable aujourd’hui dans ses beaux habits, dit Absolu. Je ne sais, lui répondit Charmant, elle me plaisait davantage en bergère. Et chacun regagna son château.

    De retour, Charmant rappela son gouverneur, Sincère, qui jadis lui avait parlé de Vraie-Gloire. Le bon Sincère lui apprit que sa fiancée avait une sœur laide et méchante, Fausse-Gloire, qui, habilement fardée, jouait de leur ressemblance pour perdre les princes. Soyez juste, lui dit-il, combattez l’ignorance et le crime autant que vos passions. Ainsi deviendriez-vous un grand roi, digne de votre fiancée.

    Charmant partit en voyage avec Sincère afin de s’instruire et d’amener à sa cour des gens de mérite chargés d’éclairer ses sujets. Passés trois ans, Charmant, corrigé de ses défauts, se rendit avec Sincère là où il avait vu la biche. Ils rencontrèrent Absolu dans un char superbe, suivi des prisonniers de toutes les batailles qu’il avait gagné. Arrivés aux deux châteaux, Charmant prit le chemin du premier, Absolu celui du second.

    Vraie-Gloire, mille fois plus belle, mais toujours simplement vêtue, reçut Charmant et lui dit : Venez mon prince, grâce à votre ami Sincère vous êtes digne d’être mon époux. Elle commanda alors aux Vertus, ses sujettes, de préparer la noce. Quant à Fausse-Gloire, elle offrit à Absolu de l’épouser sur le champ, ce à quoi il consentit.

    À peine marié, Absolu s’aperçut que sa femme, quoique bien fardée, était vieille et ridée. Le fil d’or qui attachait ses fausses dents se rompit et celles-ci tombèrent à terre. Le roi était si fort en colère d’avoir été trompé qu’il saisit ses beaux cheveux noirs pour la frapper, mais ils lui restèrent en main car c’était une perruque. Absolu abandonna la créature et couru au château de Vraie-Gloire. Mais elle venait d’épouser Charmant et la douleur d’Absolu fut si grande qu’il en mourût. Le roi Charmant plaignit son malheur et vécut longtemps avec Vraie-Gloire.