• L'anneau de la Tourterelle

    Conte d'Afrique

     

     

     Un jeune garçon nommé Ségué Karanmbé était un oiseleur heureux. Chaque fois qu'il allait visiter ses pièges, il y trouvait de nombreux oiseaux capturés. Il avait attrapé toutes les espèces qui existent au monde, à l'exception d'une tourterelle à gorge noire que les Peuhls appellent kourkoundourôrou et les Bambara bourountouba-kanfi. Cette tourterelle-là avait esquivé tous ses pièges.

    Renonçant à la capturer par ce moyen, le garçon prépara de la glu avec de l'écorce bouillie de ficus Puis il englua tous les arbres du pays. La tourterelle, qui ne connaissait pas ce piège, alla se poser sur une branche, et ses pattes furent prisonnières de la matière poisseuse.
    Ségué Karanmbé accourut pour s'emparer de sa victime.

     

    « Jeune homme, lui dit l'oiseau, ton habileté a été plus grande que ma méfiance, mais si tu me laisses la vie sauve, je te donnerai quelque chose dont tu seras content, et ton père avec toi, car il ne sera plus obligé d'aller à la chasse avec son chien comme il le fait par tous les temps.
    — Et que veux-tu donc me donner de si précieux ?
    — Du bétail !
    — À quoi bon ? Je ne bois pas de lait !
    — Alors je t'offrirai de l'argent à profusion !
    — Ce n'est pas une chose qui se mange ! Ta chair est bien préférable pour moi ! »
    Et Ségué, impatient, saisit la tourterelle à la gorge.
    Celle-ci supplia alors d'une voix étouffée, car la pression des doigts la gênait fort pour parler : « Enfant, relâche-moi ! Je te promets une masse d'or aussi énorme qu'une montagne ! »
    À ces mots, Ségué desserra un peu son étreinte. Alors, l'oiseau pondit un œuf et dit au jeune homme : « Casse cet œuf, tu y trouveras une bague. Cette bague, mouille-la de ton sang. »

    Quand Ségué eut cassé l'œuf, il aperçut à l'intérieur un petit anneau blanc. Il se fit alors une légère incision à la main et mouilla l'anneau avec le sang qui en coulait. L'anneau devint aussitôt jaune comme de l'or.
    « Passe cette bague à ton doigt, lui recommanda alors la tourterelle. Chaque fois que tu auras besoin de quelque chose, frappe le sol avec la paume de la main où se trouve le doigt qui porte l'anneau. Prononce en même temps le nom de ce que tu désires. Tu l'obtiendras à l'instant même !
    — Je vais en faire l'expérience sans plus attendre ! déclara Ségué. Si tu as menti, je te rôtirai sur la braise et te mangerai sans pitié ! »
    Il passa l'anneau à un doigt de sa main droite et, frappant le sol de la paume, il cria ce seul mot : « Bouillie ! » Cent calebasses de bouillie descendirent aussitôt de la colline.
    Après s'être rassasié, le jeune oiseleur dit à la tourterelle : « Il n'y a peut-être là qu'un effet de tes sortilèges. Je ne crois pas que ce soit la bague qui m'ait procuré cette bouillie. Je vais tenter une seconde expérience. »

     

    Alors, frappant la terre de nouveau, il appela : « Mon père ! Ma mère ! Venez manger de la bouillie ! » Aussitôt, il vit ses parents à ses côtés.
    Tous deux s'assirent et mangèrent, eux aussi, de grand appétit. « Petite tourterelle, dit alors Ségué, que ton anneau soit efficace ou non, tu m'as déjà donné plus de nourriture que ta chair ne m'en eût valu ! Aussi vais-je te laisser aller. Mais sache bien que si ta bague cessait de m'être utile, il me serait encore possible de remettre la main sur toi ! »

    Sur ces mots, il délivra la tourterelle, qui s'enfuit à tire-d'aile.

    Ségué Karanmbé s'en retourna dans son village, accompagné de ses parents. Mais la marche fatiguait beaucoup ces derniers qui n'avaient pas pu se rendre compte de la longueur du chemin en venant, ayant été transportés par la vertu de l'anneau.
    Ségué, les voyant marcher péniblement, frappa la terre du plat de sa main en disant : « Il me faut trois chevaux alezans ! » Sur-le-champ, trois chevaux tout harnachés et dont la crinière et la queue étaient décorées de fils d'or, sortirent du sol à l'endroit même où Ségué avait frappé.
    Le jeune homme aida ses parents à enfourcher leurs montures, puis il grimpa à son tour sur la sienne. Ils revinrent chez eux en cet équipage.

    Une fois chez lui, Ségué frappa encore le sol en souhaitant une case avec une terrasse très richement ornée. Et, à ce vœu, une case sortit de terre, aussi haute qu'une montagne et si solide qu'elle pouvait défier les assauts des tornades les plus furieuses. Toute la famille s'y installa.

     

    La mère de Ségué, pour remercier son fils, lui prépara une boisson à base de lait et de farine de mil. Le jeune homme, après avoir goûté de ce mélange, le trouva excellent : « Puisque ma bague peut me procurer tout ce que je désire, dit-il, je souhaite avoir moi-même du bétail qui me fournisse du lait ! » Il frappa le sol de sa paume et se trouva avoir des vaches en quantité.

    Le chef d'un village voisin, d'un naturel très envieux, apprit que Ségué possédait une bague merveilleuse. Il résolut de la lui enlever. Il marcha vers le village du jeune homme et l'investit avec ses guerriers. Alors, Ségué frappa de toutes ses forces un bloc de roche avec sa paume droite. « Je veux des guerriers géants, ordonna-t-il, pour me débarrasser de ces envahisseurs ! »
    De tous côtés arrivèrent des monstres énormes armés de lances et de fusils. Certains déracinaient des arbres pour s'en servir comme de gourdins. Ceux qui n'avaient pas d'armes s'étaient munis de rochers aussi gros que des cases.

    Ces guerriers se ruèrent sur les ennemis, en massacrèrent la plus grande partie et emportèrent leurs cadavres pour s'en repaître. Le reste des envahisseurs s'enfuit avec leur chef.
    Celui-ci, ne pouvant s'emparer par la force de l'anneau magique, résolut de se l'approprier par la ruse.

     

    Dans ce but, il envoya l'aînée de ses filles au possesseur du talisman, en le priant d'accepter celle-ci comme épouse. Avant de mettre sa fille en route, il lui dit : « Tu sais que tu es fille d'un roi ! Et tu ne souhaites sûrement pas qu'il y ait en ce monde quelqu'un de plus puissant que ton père. Celui à qui je t'envoie a plus de pouvoir que moi, car il possède un anneau qui lui procure tout ce qu'il peut souhaiter. Quand il t'aura accueillie comme épouse, la septième nuit de votre mariage, fais le nécessaire pour t'emparer de l'anneau. Si tu ne veux pas que je te maudisse ! »

    Quand la jeune fille se présenta chez Ségué, elle lui plut tant qu'il l'accepta de grand cœur pour femme.

    Le septième soir, au moment d'aller dormir, elle dit à son mari :
    « Tout bon mari doit offrir des présents à son épouse.
    Je te donne cent captives, lui répondit Ségué.
    — Chez mon père, j'en avais deux cents, répliqua la jeune femme.
    — Je te ferai présent de bracelets pour tes bras et tes chevilles !
    — Il y en a à foison chez mon père !
    — En ce cas, que veux-tu de moi ?
    — La bague que je te vois au doigt.
    — Je ne te la donnerai certes pas !
    — Puisqu'il en est ainsi, laisse-moi m'en retourner à l'instant chez mon père ! »
    Ségué, désespéré de voir partir son épouse, céda.
    « Tiens, dit-il, voilà la bague ! Prends-la donc !
    — Maintenant que tu m'en as fait don, il te faut m'indiquer comment m'en servir.
    — Si le désir te vient de quelque chose, répondit Ségué, frappe la terre du plat de ta main en nommant à voix haute l'objet convoité. »
    La jeune femme, alors, frappa le sol de sa paume en disant : « Anneau de l'oiseleur, ramène-moi dans ma case ! »
    À l'instant même, elle se trouva transportée dans la case de son père, et tous les biens que Ségué avait obtenus grâce à la bague la suivirent, car ils ne pouvaient rester séparés de leur maîtresse.

    Le lendemain, la perfide épousée remit l'anneau à son père, et celui-ci fit ses préparatifs pour aller détruire le village de son gendre.
    « Nous revoici malheureux comme jadis ! dit Ségué à son père. La tourterelle va me le payer, car je la capturerai à nouveau. Elle a beau connaître le piège et la glu, elle ignore les collets de crin ! »

    Le chien du vieux chasseur intervint alors : « Ce n'est pas la peine de rattraper la tourterelle ! Je vais tâcher de récupérer ta bague. Laisse-moi faire ! »

    Le chien alla trouver un chat. « L'anneau de mon maître est à présent aux mains du chef du village voisin. Si, d'ici ce soir, je ne l'ai pas en ma possession, il n'y aura plus un chat vivant sur terre. »

    Le chat, à son tour, s'en alla trouver un rat. « Si l'anneau de Ségué passe la nuit chez le chef du village voisin, je mangerai tous les rats jusqu'au dernier ! »

    À minuit, trois rats se rendirent chez le chef du village voisin, qui dormait profondément. Le premier rat veilla à ce que personne n'entrât dans la case, le deuxième rat surveilla le sommeil du chef. Pendant ce temps, le troisième lui ôtait la bague du doigt.

    Quand il l'eut en sa possession, il alla promptement la remettre au chat. Celui-ci, à son tour, s'empressa de la porter au chien. Et le chien la rendit à Ségué Karanmbé.

    Avec l'anneau revinrent toutes les richesses qui avaient disparu. De peur de se le voir soustraire de nouveau, Ségué le cousit dans un sachet qu'il suspendit à son cou, puis il dit : « Anneau, porte-moi loin des autres hommes, là où nul ne pourra m'attaquer. »

    En un clin d'œil, Ségué, sa famille et ses biens se virent transportés sur une montagne inaccessible et d'une prodigieuse hauteur, où ils vécurent longtemps heureux et tranquilles.